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La Biotechtonique Constructive, texte de David Gé Bartoli

par Lalanne Christophe 1 Août 2015, 17:07

La Biotechtonique Constructive, texte de David Gé Bartoli La Biotechtonique Constructive, texte de David Gé Bartoli

La biotechtonique constructive

à partir du travail de Christophe Lalanne

«Les formes s’achèvent. Les matières, jamais.

La matière est le schème des rêves indéfinis.»

Gaston Bachelard

Dans la trajectoire des déformations de la matière une “construction” est un accident de parcours. La poussée constructive est ici un faire-avec entendu comme processus dynamique de relais et de relance. Ou quand faire-biotechtoniquement-avec, c’est faire-spatio-temporellement-avec les états de la matière, c’est être pris dans les en-jeux de la matière. C’est donc essentiellement et littéralement entre-prendre : se prendre au jeu de l’entre. On peut dire de la biotechtonique qu’elle produit des entre constructifs et non des constructions d’antre. Elle est force de propositions multitectoniques et non proposition de formes architecturales.

La biotechtonique est donc la conjonction ou la combinaison de trois termes : 1) bio : la vie comme poussée et survivance de traces qui persistent dans un même mouvement ; 2) technique : la technique comme articulation sous-jacente qui ouvre la matière, comme rythme énigmatique de la formation des formes ; 3) tectonique : la tectonique des plaques comme déformations, entre-plis, sur-sauts. La composante des trois permettant ainsi une multiplicité de passages, une épreuve de l'inter-médiaire. La biotechtonique est un art de l’inter-médiaire, de l’entre, c’est-à-dire une technique des déformations ou, si l’on veut, une technique qui ouvre à l’in-finition des matières en devenir. Il ne s’agit pas de bâtir, suivant un plan et une planification déterminés (tracé et déroulement des travaux), avec des matériaux divers. Il s’agit de faire de façon à ce que chaque élément mis en œuvre dans ce processus d’intempestivité constructive soit moteur, à ce qu’il soit porteur d’une vision de l’émergence où rien ne prédomine, ne se fige, ne dure. Ainsi, la matière, le biotechte (l’entre-preneur d’une biotechtonique constructive) et le biotechteur (le preneur et re-preneur d’une biotechtonique constructive), le paysage et tout ce qui concourt à la dynamique d’un tel mouvement de transformation, sont de l’intermédiaire. Le traitement de la matière peut être empirique, pratique, technique, pourvu qu’il active et développe tout le sensible et tous les sens de l’intermédiaire (artistique, physique, philosophique, sociale, politique…). Il s’apparente à un échauffement musculaire, avec ses étirements, ses foulées, ses massages, favorisant au mieux les forces, les poussées, les déformations de la matière. Et dans ce parcours du traitement de la matière, peut-être, apparaîtra-t-il un “jet” constructif, la germination d’un lieu de vie.

C’est pourquoi la biotechtonique constructive est une épreuve, une expérience sur et avec la matière. Elle est le lieu du corps et de l'imaginaire que porte toute matière. Elle est ce corps mouvant qui s'étend avec in-finité et affinité, en s'articulant avec la psychè, cette étendue qui touche les corps dans leur intervalle. Dans cette épreuve, le corps et la psychè ne font ni une ni deux, ils se font la belle. Sa beauté tient dans l'habiter. La sur-prise de la biotechtonique constructive, c'est l'habiter : un quelque chose se trame sans que l'on sache quoi exactement, une ambiance se dévoile, une occasion se présente. Avec la biotechtonique constructive, l'habiter retrouve du mouvement, mais un mouvement sans mobile. Elle n’est pas une application formelle des règles et canons architecturaux en vue d’une construction. Elle ne nous oblige pas à employer des techniques infaillibles de constructions architecturales. La biotechtonique constructive s’emploie à nous travailler comme on la travaille, d'une façon énigmatique, c'est pourquoi elle se laisse aller jusqu'au point de rupture, jusqu'au seuil critique. Elle est ce point de bascule qui ouvre la marche : elle est ce pas, ce seuil qui se déplace sous et avec nos pas, nos passages.

La biotechtonique constructive n’a donc pas pour but de proposer des solutions à des problèmes liés à l’architecture et à ses contraintes (comme elle est la plupart du temps envisagée, même dans les projets utopiques ou contre-utopiques des années 60 et 70), elle génère de la matière une multiplicité tectonique qui ouvre des devenirs, ce en quoi elle est constructive. Elle libère des forces de vie. De la biotechtonique constructive peuvent émerger des lieux de vie accidentels, évolutifs, aléatoires : des Biotechtones. Elles accueillent en-soi et en elles la vie : elles sont un lieu de vie vivant. Autrement dit, toutes les Biotechtones sont des excentricités vivantes, elles accompagnent l'excès de vie : se développent dans la tournure (les tournoiements et les entours de la matière) une activité biotique constante et un biotope en perpétuelle évolution. Cet excès ne peut être d'aucune manière contenu dans un écosystème donné. Les Biotechtones dépassent les bornes, les limites. C'est pourquoi elles ont une allure hors-norme et dégagent une ambiance qui enivre les saisons, les rêves, les continents. Elles nous font aller à la dérive, elles nous indiquent, à chaque pas de porte, « l'entrée en démesure ». Entrons alors dans l'univers de Christophe Lalanne et de ses Biotechtones.

Les Biotechtones n'ont pas à proprement parler des qualités mais des tendances, des propensions à, des lignes de fuite engageant une constructivité 6-M : Malléable - Mobile - Muante - Mutuelle - Mineure - Militante.

MALLÉABLE

- pas d’iconologie ni de typologie de l’habitat prédéfinies

- pas de principes constructifs déterminés

- pas de structures stables ni de fonctions précises de l’habitat

La matière-membrane est un tissu organique de type filtre-éponge qui provoque de multiples variations tectoniques. Si poteaux ou murs il y a, à court ou à moyen terme, ils ne sont ni porteurs, ni correcteurs mais accompagnateurs des forces biotechtoniques. Donc pas d’omniprésence d’ossature structurelle ou de structures porteuses (système poteaux-poutres ou murs porteurs). Il s’agit ici de ne pas opter pour des solutions tout aussi rigides ou inertes en soi, par nature, comme le système d’armatures ou de résilles (en métal, en alliage… ) sur lesquelles on plaque un matériau quelconque (par exemple les tentatives de F. Kiesler), ou encore des structures en coque plus ou moins légère ou plus ou moins rigide (en plastique, résine ou autres matières synthétiques, ou les structures et toiles gonflables, entre autres).

MOBILE

- mobilité spatio-temporelle : l’espace et le temps font cause commune dans la dynamique constructive en se déployant librement, sans direction ni finalité, sans vecteur programmé ou projet déterminé ; il s'agit d'une mobilité déviante, à l'écart de toute procédure et de tout processus.

- mobilité entre immobilier et mobilier : l’un à propension à devenir l’autre et vice et versa. Exemple: un repli à l’intérieur de la construction peut devenir banquette, table, lit, étagère…un repli peut aussi générer un nouveau palier ou un nouveau niveau d’habitation. Et un dépli vers l’extérieur peut devenir terrasse, pergola, toit-terrasse, ou une dépression pouvant servir de bac à fleurs ou de jardinière…

- mobilité des postures du biotechte (entre-preneur d’une Biotechtone) et du biotechteur (preneur et re-preneur d’une Biotechtone) selon les développements de la matière, selon la biotechtonique propre à ce lieu de vie, propre au paysage dans laquelle la matière se déploie en poussées constructives.

MUANTE

- excroissances ou extensions à greffer sur de la matière devenue inerte ou presque : pas de destruction ou de réfection en vue d’une réhabilitation, pas de rénovation superficielle, pas de décoration. Nota Bene : la couleur des matériaux utilisés et laissés bruts ou due à l’adjonction de peinture sur ceux-ci joue un rôle essentiel dans la vision de l'imperceptible mouvement de la matière. Il faut, en effet, que ces greffes apparaissent, au sens fort (apparition comme surgissement), comme étant elles-mêmes des accidents de parcours, prises dans le flux de la matière. Ces greffes s’apparenteront au repli ou le dépli de telle ou telle surface qui, du fait de la couleur, seront rendus visibles immédiatement et ce, tant sur le plan de la perception spatiale que temporelle : je vois effectivement tel surface intérieur se déplier vers l’extérieur, le bleu ressortant sur le rouge, par exemple, et je le vois présentement se dévoiler dans le cours de son développement.

- expérience de l’“in-formité” de la matière (comme formation à l’“in-finition” des formes) : les Biotehctones sont comme ces êtres qui muent, qui perdent leur peau pour regagner du sensible, de la fraicheur d'être. Elles s'apparentent aussi à la transformation énigmatique qui fait passer de la chenille à la chrysalide pour devenir papillon et ce, par sur-sauts, par seuils critiques, sans lien logique de forme à forme mais par pure passage des états de la matière.

- exotiques, les Biotechtones accueillent l’autre à venir : tolérance des conditions évolutives de vie du lieu et du milieu de l’habitat, tolérance de la greffe par l’habitation et par l’habitant, tolérance par les locataires successifs de l’état d’avancement de la Biotechtone qui ne peut être rasée (pas de tabula rasa), autrement dit, tolérance d'un vécu singulier qui s'inscrit dans un monde en mouvement, avec ses vies et ses survivances, avec ses devenirs.

MUTUELLE

- contrat mutualiste entre le biotechte et le biotechteur. Le biotechte loue sa force de propositions au biotechteur pendant une durée donnée et la matière qui lui est nécessaire en fonction d’un projet élaboré d’un commun accord. Le biotechteur, lui, s’accorde au jour le jour à un lieu de vie vivant et mois après mois avec le biotechte pour le régénérer par des relances successives.

- réciprocité et échanges entre l’habité (une Biotechtone) et l’habitant (biotechteur), entre le lieu vivant et l’être vivant, l’un influant sur l’autre et vice et versa : plasticité du tissu constructif de l’habité et plasticité des postures de l’habitant ; échanges gazeux de l’habité et de l’habitant ; humidité variable en fonction de la matière utilisée pour l’habité, des activités physiques, ménagères ou autres de l’habitant….

- porosité et perméabilité entre le lieu (une Biotechtone) et le milieu (le paysage) : le tissu organique du lieu permettant des effets filtre-éponge avec l’organicité du milieu. Partage du sensible de l’un à l’autre et vice et versa.

MINEURE

Il s'agit de lieu de vie « sans qualités », c'est-à-dire n’ayant pas de qualités normées (solide, résistante, harmonieuse, agréable, hygiénique, lumineuse, ergonomique…) et certifiables pour l’utilisateur.

- “sans mesure” : Ni “avec mesures”, dans le sens de mesures de construction (respect des principes, des règles et des normes architecturaux : lois de la statique, normes de sécurité et d’hygiène, mesures des surfaces au sol et des hauteurs, canons contemporains des habitations…) ; ni “sur mesure”, dans le sens de maison particulière à l’image que se fait le destinataire d’une habitation qui lui serait adaptée, souvent très coûteuse ; ni “démesurée”, dans le sens de construction d’immeubles à haute densité d’êtres humains.

- “sans histoire” : pour les minorités sans attaches spatio-temporelles, pour les parias, pour les êtres de terrain, pour des existences atypiques : vagabonds, anti-conformistes, prolétaires précaires, asociales, nomades, anarchistes, SDF, révolutionnaires et exclus socio-politiques de toutes sortes, chercheurs…

- “sans territoire” : ni occidentale ou orientale, ni même méridionale ou septentrionale, ni rurale ou urbaine ou suburbaine, ni ethnique ou religieuse ou consacrée, elle a vocation à exister et se mouvoir de partout, en tout lieu, en tout milieu, qu’ils soient plus ou moins propices ou plus ou moins hostiles.

MILITANTE

- elle est modeste et mobilisatrice : ni “militaire” de type encasernement (construction hiérarchique, à angles droits, fonctionnelle, hygiéniste, hermétique, de type barres d’immeubles et urbanisme aux carreaux) ; ni “milicienne” de type groupes isolés (construction puritaine, secrète, hautaine, avec privilèges… ex: les villas, les quartiers notables).

- elle oppose une résistance “sur le terrain” : sans y être attaché, enraciné (liens du sol et du sang mêlés par les lois de propriété et d’héritage), donc sans fondations en sous-sol ; et sans y être exclu par des instances supérieures (étatiques, religieuses, politiques, coutumières, sociales, climatiques…) organisant des groupements humains de types molaires, totalitaires, hégémoniques ou universalistes.

- elle s'affronte aux rouleaux compresseurs du capitalisme : pas de capital (de l’immobilier comme propriété), pas de capitalisation (bien à pérenniser), pas de services capitalistes (assurance, prêt bancaire, acte d’achat devant notaire, etc).

La biotechtonique constructive tient de la vie, de ce qui de la matière suggère la profusion, le débordement, la démesure : poussées constructives qui ouvrent des devenirs, qui donnent à l'occasion des Biotechtones. La question de l'habiter, la saveur inouïe d'un lieu de vie vivant, et non l'obtention d'un droit à la propriété, est en cela fondamentale. Elle devrait être le premier soucis de notre être au monde, de notre partage du sensible entre humains et non humains, entre habitat et paysage. Par contre coup, les questions du travail, de l’œuvre et de l’action, ainsi que les solutions envisagées par Hannah Arendt dans son ouvrage La condition de l’homme moderne est à repenser de fond en comble. Ni l’appropriation des biens matériels (l’homme comme pur consommateur de sa production), qu’elle dénonce, ni la propriété ( la stabilité et la pérennité comme valeurs, et le sol comme paradigme et socle ontologique de l’humain), qu’elle revendique, ne peuvent être envisagées comme des solutions qui ouvrent de nouveaux devenirs.

Au lieu d’œuvrer pour telle ou telle cause, il serait préférable de dés-œuvrer le lieu, lui rendre sa pluralité d’accueil et rendre conséquemment à l’humain son pluriel, sa polyvocité : polyphonie, vélocité, équivocité. Il ne nous appartient pas de prendre en charge l’humain, de soumettre sa condition à quelques conceptions qu’elles soient. Nous nous devons de ne pas réifier ce qui apparaît au monde : son sensible est intarissable et surprenant. Il se fait que nous sommes l’apparition sans cesse renouvelée du, des mondes.

David gé Bartoli

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